-
Alors, la pétition que vous avez signée, il y a 3 ans, pour obtenir un droit de pâture dans les forêts royales, elle vous a profité ?
-
Je veux ! Et il était temps car on aurait tout perdu, affirma Jean Nicolas Lecomte.
-
A qui l'aviez-vous adressée cette pétition ?
-
Au Directeur de l'Enregistrement et des Domaines des Eaux et Forêts du département, mais c'est le Maître des requêtes, le Préfet, qui nous a répondu favorablement en nous ouvrant un parcours de vaines-pâtures de 200 hectares aux cantons des Grandes Ronces, de l'Air d'Oiseaux, du Pré Levenant et de Firbacôte, au printemps 1820, précisa Valentin Crouvisier.
-
Comment vous y êtes-vous pris ?
Jacques Daniel prit alors la parole :
-
On a expliqué que nos métairies étaient à l'intérieur des forêts royales, qu'on ne pouvait en sortir qu'en passant dans ces forêts et qu'il n'y a point de forêt communale dans la partie qu'on occupe, pas plus que de terrains communaux pour le pacage de nos bestiaux.
-
D'ailleurs, reprit Joseph Bombarde, pour éviter les contraventions, sévères !, si nous avions fait pâturer nos bêtes dans les forêts royales, nous devions utiliser toute l'herbe de nos prés, notre unique ressource, quoi ! Et ça n'aurait pas duré...
-
Mais, dit Francion, j'ai ouï-dire qu'en 1703, ça ne date pas d'hier, le Duc Léopold avait déjà autorisé le droit d'usage pour les bestiaux entre Granges et Gérardmer, non ?
-
Tout juste, et nous l'avons rappelé, tu penses bien, dit Lecomte, on a même ajouté, et c'est vérité, que le bois était peu recherché, beaucoup moins que les pâturages.
-
L'autorisation est annuelle ?
-
Du 1er mai au 15 septembre, c'est ce qu'il fallait parfaitement.
-
Combien étiez-vous à signer cette pétition ?
-
Attends, que je me souvienne, dit Valentin Crouvisier, on devait être une bonne trentaine : nous quatre, plus les deux Colnel, André, les trois Délon, Tisserant, Voirin, les deux Lejal, Viry, Marie Durand, Jolé, Baradel, Dominique Lallemand, les trois Georgel, Joseph Rivat, Didier, les deux Villaumé, Jean-Baptiste Balland, Jean Nicolas Michel, Boulay et Perrin.... Mais tu me donnes soif de parler, sers-nous donc, allez Francion !
Chacun admirait les courageux marcaires qui avaient su faire aboutir leur requête vitale. On se disait aussi que, sans l'instruction offerte par le développement des écoles et bien que Napoléon n'ait pas fait pour le Primaire ce qu'il fit pour les Lycées, personne n'aurait été capable de s'atteler à une telle tâche nécessitant réflexion et maîtrise de l'écriture pour rédiger et signer un texte qui soit efficace. Ah ! Savoir lire et écrire ! Quelle belle chose ! A l'avenir ça servirait encore, à coup sûr...
Bien sûr, Granges avait dû faire beaucoup d'efforts financiers pour la reconstruction, achevée l'an dernier, en 1822, de la maison d'école ainsi que du presbytère, et le coût en avait été plus élevé que prévu, il avait fallu vendre des terrains communaux pour réussir à boucler l'adjudication des travaux. Même les gens de Barbey-Seroux, le hameau devenu commune, un peu réticents au début, en 1818, admettaient que leur quotte-part, un sixième du total soit six cents francs, était bien peu de choses en regard du Savoir, de l'Education des enfants. En plus, le maître d'école avait maintenant un logement et aussi le marguillier, qui tenait les comptes de la paroisse.
Ainsi, la bourgade de Granges s'était hissée à un stade supérieur et cela aiderait à son expansion.