Bien sûr, ce verdict soulève l'indignation des avocats et surtout la colère de Maître Pellet, pourtant avocat de l'épouse, qui s'écrie, furieux :
« La peine requise ne doit pas être appliquée, mais celle prononcée par l'article 319 du Code Pénal concernant l'homicide involontaire ! En écartant l'arrêt qui a renvoyé le jury dans la chambre des délibérations, la Cour agirait comme de véritables mannequins ! ! »
Maître Pellet est alors vivement rappelé à l'ordre par le Président. Mais, sûr de lui, s'appuyant sur la seconde déclaration des jurés, il continue et lance avec véhémence aux magistrats de la Cour :
« Les moyens puisés dans les lois, la jurisprudence et la raison, paraissant ne pas faire fortune auprès de la Cour, je n'ai plus rien à dire ! »
Maître Mandheux confirme les motivations de son confrère.
Se considérant outragée, la Cour interdit alors Maître Pellet pour une durée de quatre mois, et confirme le condamnation de Claude Lejeal.
Celui-ci tressaille et repense à Georges Gremillet, de Jussarupt, bagnard à Toulon depuis déjà 6 ans..
Libre, Marie Thérèse Georgel regagne Rosé, seule. Elle ne peut imaginer le départ de son mari pour le bagne à vie : elle ne le verrait jamais plus ? ! Perpétuité, c'est irréversible. Est-ce possible ? Elle comprend alors la douleur de Marguerite et ce que représente la perte d'un époux aimé, coupable ou non de meurtre. Elle réalise combien la vie est précieuse et que l'acte impulsif de Claude, pour quelques minutes d'emportement, de bêtise, a détruit deux vies : celle de sa victime et la sienne propre. Comme les regrets sont amers quand ils viennent trop tard, impuissants à réparer ! N'est-elle pas responsable ? N'aurait-elle pas dû raisonner son mari ? N'aurait-elle pas pu l'empêcher de commettre l'irréparable ? Si, bien sûr que si. Et elle pleure.
Marguerite aussi pleure, et la souffrance de ces deux femmes, que tout sépare, est la même. Vivre un calvaire, tout ce que cette expression renferme de douleur, Marie Thérèse comme Marguerite en mesurent désormais tout le sens.
Pourtant il faut vivre, continuer. A Herméfosse, c'est le jeune Laurent, 19 ans, qui prend la ferme en mains.
A Rosé, Marie Thérèse est aidée par sa famille ainsi que par Joseph Lejeal, son beau-frère, qui vit non loin, à La Sauteure, et vient donner un coup de mains car les enfants sont encore bien jeunes ! Et puis, lui aussi, Joseph, n'est-il pas responsable ? Connaissant son frère, n'aurait-il pas pu prévoir l'issue fatale et ne pas l'encourager comme il l'a fait ? Il est silencieux, il pèse sa responsabilité, même indirecte, dans ce drame. Bien sûr, il n'avait pas imaginé tout cela, mais il aurait pu ….
Dans sa prison, attendant anxieusement l'exécution de sa condamnation, Claude Lejeal est aussi en proie à de sombres pensées. Il est abattu et les remords l'assaillent. Il a tué un homme, gâché la vie d'une famille, là-haut, à Herméfosse, qu'il ne reverrait jamais plus. Pas plus que Rosé, où sa propre famille est plongée dans un malheur tout aussi profond. Ses enfants, 9, 6 et 2 ans, allaient certainement souffrir d'être les enfants d'un meurtrier, d'un bagnard, on les montrerait du doigt, c'est sûr, et c'était sa faute ! Revenir en arrière, réparer, effacer ? Non. Impossible. Les jeux sont faits.
Non, les jeux n'étaient pas faits ...