Un mois est passé, nous sommes en octobre 1823 et c'est alors que l'affaire judiciaire rebondit. Un rebondissement tel que personne n'aurait pu l'imaginer, ni à Granges, ni parmi les magistrats spinaliens. Maître Pellet lui-même n'en espérait pas temps. En conseillant à son confrère Maître Mandheux, avocat de Lejeal, de se pourvoir en cassation, il avait espéré un renvoi, que leur client soit jugé à nouveau mais pour homicide involontaire.
La Cour de Cassation en avait des dossiers à examiner ! Et, la plupart du temps, elle confirmait les arrêts des tribunaux. Le 9 octobre 1823 elle statue sur le pourvoi de Claude Lejeal.
Comme l'avait crié haut et fort Maître Pellet, le rejet par la Cour d'Assises des Vosges de la seconde déclaration des jurés était contraire à la raison : en renvoyant le jury délibérer, à la requête du Procureur, la Cour avait implicitement annulé la première déclaration. Or, le jugement avait été rendu en appui sur celle-ci ! Mais un autre point a son importance : dans la question posée aux jurés, il ne leur est pas demandé si, oui ou non, le coup a été porté volontairement ou involontairement. Au contraire, la question tend à affirmer qu'il est volontaire. En se substituant donc au rôle des jurés, la Cour répond elle-même à l'interrogation de savoir si l'accusé a commis un acte délibéré, ce qui n'est pas de sa compétence mais de celle du jury !
La Cour de Cassation ne s'y trompe pas et elle rend ainsi son arrêt, prononcé par sa section criminelle en audience publique du neuf octobre dix huit cent vingt trois, par la voix de son Président, le Chevalier de Bailly, doyen des Conseillers :
« Louis, par la grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre ….... notre Cour de Cassation a rendu l'arrêt suivant fondé sur le pourvoi de Claude Lejeal en cassation de l'arrêt contre lui rendu par la Cour d'Assises des Vosges …...
Attendu que d'après la déclaration des jurés qu'ils ont répondu à une question qui ne leur avait pas été proposée ( savoir si l'homicide était ou non volontaire ) et que leur réponse semblait indiquer contradiction …...
Attendu que les jurés s'étant retirés dans la chambre de leur délibération, ils ont rapporté une seconde déclaration ainsi conçue : Claude Lejeal est coupable d'avoir porté involontairement ( souligné dans la minute d'arrêt ) un coup duquel il est résulté la mort et sans les circonstances de guet-apens et de préméditation …..
Attendu que l'homicide involontaire n'est point qualifié meurtre ….. cette Cour ( d'Epinal ) a commis un excès de pouvoir, violé les règles de la compétence et fait une fausse application des articles 295, 304, 20 et 22 du Code Pénal …..
La Cour de Cassation , statuant sur le pourvoi de Claude Lejeal, casse et annule ( souligné dans le dossier ) l'arrêt de la Cour d'Assises du département des Vosges du six septembre dernier ….. et par suite celui du même jour par lequel ledit Claude Lejeal a été condamné aux travaux forcés à perpétuité ….. déclare qu'il n'y a lieu à prononcer AUCUN RENVOI » !
Les avocats, Mandheux et Pellet, sont au comble de la joie de leur succès. Même Maître Pellet n'avait forgé tel espoir : aucun renvoi possible, c'est dire que Claude Lejeal est LIBRE ! !
Oui, Claude Lejeal est aussitôt libéré, hébété, n'osant y croire car, enfin, il a tué !
Certes, mais sans ce vice de forme, ce vice de procédure, ce rebondissement spectaculaire n'aurait pas eu lieu, il aurait été condamné, pas à perpétuité mais peut-être à vingt ans, comme le fin Georges, peut-être à moins … On ne le saurait jamais, la Cour de Cassation, n'autorisant aucun renvoi, aucun jugement ultérieur, a sans doute voulu sanctionner sévèrement la Cour d'Assises d'Epinal afin d'éviter à l'avenir ce qu'elle nomme « excès de pouvoir et violation des règles de compétence » ….
Et Claude Lejeal arrive à Granges, libre.