Joseph Lejeal s'était alors calmé et était reparti, bougonnant, vers son domicile de La Sauteure à Granges.
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Décidément, les Lejeal ne t'aiment pas, Laurent....
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Je sais et ça m'ennuie, mais ce n'est pas moi qui ai commencé les hostilités. Vous me connaissez, je ne cherche de noises à personne.
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Mais oui, nous le savons, et nous connaissons la réputation de Joseph et son frère !
Quelques semaines plus tard, début mai, une autre dispute éclata, cette fois entre Claude et Laurent, chez le cabaretier de Granges, Jean Dominique Morel. Les propos de Lejeal étaient invariablement semblables. Ce jour-là, Jean-Baptiste Michel, son cousin germain, cultivateur mais aussi adjoint au maire de Granges, était attablé au cabaret avec le grand Baradel et fut pris à partie également :
-Tu es sûrement de mèche avec lui, toi, l'adjoint au maire ? Ce n'est pas pour rien que tu es en compagnie de ce voleur de Baradel...
Le ton avait monté et Claude avait sorti son couteau, provocateur. Jean-Baptiste Michel s'était alors levé, fâché :
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ça suffit comme ça, Claude, il faut toujours que tu aies un couteau en main ! Tu ne voudrais tout de même pas t'en servir contre ton parent ? Te rends-tu compte de tes actes et de ce qui pourrait arriver ? Quand donc cesseras-tu tes bêtises ? Tu te montes la tête pour rien et tu te fais des idées ! Là où il n'y a rien tu échafaudes toutes sortes de complots contre toi ! !
A ce moment-là, Jean-Baptiste Michel, le cabaretier ainsi que Marie Barbe, la femme de ce dernier, s'étaient jetés sur Lejeal, le voyant prêt au pire. Ils le maîtrisèrent, lui arrachèren vivement son couteau et le cassèrent pour éviter qu'il ne finisse par blesser quelqu'un. Aigri et vexé, Lejeal s'empara alors d'un verre qu'il lança avec force à la figure de Laurent Baradel, qui, heureusement, l'évita de justesse. L'autre ne se calma pas , persista, déjà passablement éméché, saisit une bouteille et la brisa en frappant de colère sur une table pour s'en faire une nouvelle arme, aussi dangereuse que la première ! Poussés à bout, et ne voyant pas d'autre solution devant une telle furie, Morel, Michel et un ou deux autres consommateurs excédés, empoignèrent le violent individu et le jetèrent dehors sans ménagement !
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Quel calme lorsqu'il n'est plus là, constata Marie Barbe Morel, la cabaretière, cela devient impossible. Ce gaillard-là est une véritable plaie et il serait bien capable de nous briser tables et chaises !
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C'est un danger public, tu veux dire, rajouta son mari.
C'est à ce genre de scènes de plus en plus fréquentes que Claude Lejeal habituait les Graingeauds qui envisageaient mal l'avenir de cet « échauffé » !