Tout en marchant d'un bon pas, Laurent pense à l'approche de la fenaison. Traditionnellement, si le temps le permet, on commence à faucher le 20 juin et c'est dans 3 jours ! Cela promet de belles courbatures.... Son fils fauche aussi et les faucheurs sont suivis par Marguerite et un ou deux journaliers qui « répandent » l'herbe au râteau.
Le voici à Rosé, près de la ferme Lejeal. Personne dehors. C'est mieux ainsi, se dit Laurent, qui appréhende toujours le, moment où il passe devant chez Marie Thérèse et Claude, craignant à chaque fois d'être insulté. Il accélère le pas, prêt à suivre son chemin « comme si de rien n'était » si quelqu'un apparaissait, car il pense qu'ajouter de l'huile sur le feu est inutile. Ouf ! La maison Lejeal est à cent mètres derrière lui et il replonge dans de meilleures pensées, respirant à pleins poumons l'air pur des sapins en cette journée ensoleillée. Il est à Tihaugoutte et en vue du Pré Genêt, donc plus très loin du centre mais il s'attarde à bavarder avec ceux qu'il rencontre :
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Tu vas à la foire, Laurent ? Dire que la dernière remonte déjà à trois mois ! ( Effectivement le foire de Granges avait lieu le troisième mardi de mars, juin, août et novembre, les autres mardis de l'année étant consacrés au simple marché ),
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Oui, père François, le temps passe si vite …
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Oh, tu sais, pour moi qui n'ai plus grande activité, cela me paraît bien long !
En traversant Les Paires, Laurent se remémora la ferme de ses parents et ses jeux d'enfants. Ses souvenirs étaient précis et proches dans sa mémoire. Ce nom de « Paires » venait de ce que l'endroit avait été défriché par des moines ( des Pères ) aux alentours du 3 ème siècle et peut-être même avant.
Puis Laurent arriva sur la foire.. Sa première visite dura longtemps, ce fut pour les marchands de bestiaux. Eleveur jusqu'au plus profond de lui, il aimait admirer les bêtes même s'il n'avait pas envisagé d'en acquérir une nouvelle.
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Belles bêtes, n'est-ce pas ?
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Certes, ces veaux sont de première force, ils vaudront leur prix, affirma Laurent, connaisseur
Il s'attarda moins près des autres marchands, si ce n'est pour causer de choses et d'autres avec des connaissances :
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Les récoltes seront bonnes cette année, qu'en penses-tu Laurent ?
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Je crois que le blé, l'avoine, le seigle et l'orge feront de bons rapports, en effet.
Il y avait à Granges une demi-douzaine de moulins à grains, moulins à eau, dont la roue à aubes entraînait de grosses meules en grès. Les cultivateurs n'étaient pas seulement des éleveurs. D'autre part, leur récolte de pommes de terre était en partie destinée à la production de fécule et on conduisait les tubercules, mis en sacs, à la féculerie la plus proche. Pour la culture de la pomme de terre c'est la région de Corcieux qui est la plus propice et très renommée, jusque dans d'autres régions de France.
A Granges, pour une superficie de près de 3 mille hectares, environ 27% sont des terres labourables, 28% des prés et 30% des bois. Bien sûr, l'exploitation forestière est importante et les scieries occupent une grande place.
On fait aussi le commerce de toile de lin ou de chanvre.
Oui, Granges a bien évolué depuis 1710 et ses 65 habitants ! Aujourd'hui on approche des 2500 et la communauté graingeaude compte plus de 450 maisons.
Les heures s'écoulent et, dans l'après-midi, vers 16 heures, ayant rencontré Nicolas Ferry, c'est-à-dire le grand Colas, son ami, Laurent entre avec lui et Jean-Baptiste Michel, l'adjoint au maire, chez Francion, l'aubergiste. Chacun commente l'ambiance de la foire, donne son avis sur la qualité, estime le nombre de badauds, envisage déjà la prochaine, en août, énumère ses rencontres, les nouvelles apprises ou cite les amis qu'il n'avait pas revus depuis la foire de mars. Les trois amis boivent un peu de vin puis du café. Il est déjà presque 17 heures …