Cette année-là, 1827, puis l'année suivante et déjà en 1826, le jeune cultivateur de Herméfosse, Laurent, commet quelques imprudences : il cultive « une grande partie » de terrain communal sans l'assentiment du Conseil Municipal et se voit condamné à verser « pour du pain aux pauvres » la somme de 10 francs. Il se range du côté de la légalité car, en 1828 et 1829, il paie « en deux fois au sieur Daniel » ( maire ) une somme de 10 francs, « payement qui a été fait pour prix de location de terrains communaux ».
1830. C'est l'été, il fait chaud. La moisson est juste terminée. Dans les champs, on a mis les épis en gerbes, confectionnant ce qu'on appelle ici bonnets ou bonshommes : une gerbe au milieu contre laquelle sont appuyées 3 ou 4 autres gerbes et une dernière gerbe retournée sur le tout. C'est très joli à voir de loin, mais aussi de près et les enfants adorent y jouer en se faufilant sous les bonnets qui leur servent de cachette ou de « tipi ».
A la fin de cet été 1830, une nouvelle parvient qui fait frissonner Claude Lejeal, alors âgé de 47 ans : Georges Gremillet, le fin Georges, est mort au bagne de Toulon le 17 août, à 51 ans, sept ans avant sa libération, il aura « fait » treize ans de bagne. Malgré sa faute, un meurtre aussi, il est des gens sensibles qui ne peuvent retenir un sentiment de pitié, tant le bagne est réputé dur …. On se demande si Claude Lejeal aurait tenu treize ans ... Lui, se pose la même question et il est loin d'en être sûr. Sueurs froides, une fois encore. Peur rétrospective, qu'il connaît bien pour la côtoyer souvent, surtout la nuit. Songeur, il regarde le calvaire qui se dresse tout près de chez lui.
De 1835 à 1837 s'effectue au centre de Granges la construction d'une nouvelle école. En 1840, le Conseil Municipal décide l'achat d'une nouvelle cloche pour l'église. Réalisée par Jean-Baptiste Goussel, fondeur à Blevaincourt, petit village du canton de Neufchâteau, dans la plaine des Vosges, à l'extrême ouest du département, à la limite de celui de la Haute-Marne, elle est facturée au prix de cinquante huit francs les cent kilos.
Retirée dans sa bonne vieille cense du Haut de Heméfosse, Marguerite panse ses plaies en s'occupant de ses petits-enfants, elle a trois petits-fils et une petite-fille : Louis Félix est né le 31 juillet 1828, il a 7 ans et il promet ! Toujours à s'intéresser à la vie de la ferme, bétail et travaux divers.
Mais la grand-mère s'inquiète pour le petit Jean-Nicolas, 5 ans, né le 27 mai 1830, qui veut suivre son aîné partout ! « Mais, se dit-elle, ils ont de qui tenir ! », Le troisième, Jean Joseph, né le 20 mai 1832, il a encore du répit avant de se faufiler partout, il n'a que 3 ans ! Quel souci, mais quelle joie de voir ces petits remplir la maison de leurs cris et de leurs rires ! Herméfosse revit et Marguerite puise le courage et la force de survivre, ces enfants lui sont des « bâtons de vieillesse » ! Elle n'a encore que 62 ans en cette année 1835, mais les épreuves l'ont vieillie prématurément.
Elle s'est reprise malgré tout et, le 6 février dernier, la naissance de la petite Marie Joséphine, l'a comblée de joie : « Une fille, je vais pouvoir lui apprendre la cuisine, la couture et tout ce qu'elle voudra ! ». Marie, sa belle-fille, lui répond avec gentillesse que la petite va lui ressembler, c'est sûr !
Les petits-enfants font la joie des grands-parents qui les comparent souvent à leurs propres enfants et une grand-mère donne souvent, par mégarde, le prénom de son fils à son petit-fils !
Amalgame entre les prénoms, volonté peut-être inconsciente de revivre le passé, fondant ainsi le fils et le petit-fils, la fille et la petite-fille, en un seul être sur lequel l'aïeul reporte tout son amour. Peut-être plus encore lorsque le conjoint n'est plus et qu'on retrouve ses traits dans sa descendance.
Marguerite a bien mérité la quiétude et la paix sur ses vieux jours, elle goûte à un certain calme et repose son esprit torturé et ce sont des jours meilleurs qu'elle passe au sein de la famille de Laurent, son seul fils.