Nous n'étions pas encore à l'ère industrielle dans la vallée de la Vologne et, si le textile allait par la suite y connaître des années florissantes, les usines étaient encore à des décennies de leur installation. La culture et l'élevage restaient les principales sources de revenu malgré la sévère crise agricole de 1811. Cette année-là, les récoltes sont désastreuses, les plus riches stockent le blé pour le revendre plus cher et le prix du pain s'en trouve multiplié par six: de deux sous la livre il passe aux alentours de douze sous. L'Etat doit aller jusqu'à ordonner des réquisitions exécutées par les gendarmes. Heureusement, l'année suivante verra une excellente récolte et, à l'automne 1812, la crise n'est déjà plus qu'un mauvais souvenir.
C'est donc en 1813 que le couple Lejeal s'installe en qualité de cultivateurs à Rosé. En langage du terroir le jal est un coq, de la racine « gal », de « gallinacé » , et on rencontre aussi les patronymes Legal et Lecoq dans les Vosges.
Claude Lejeal, c'est le nom du mari, est né à Maillegoutte ( une goutte est une source ), un lieu-dit du hameau de Barbey-Seroux, en 1787, de Jean André Lejeal et Jeanne Michel. Si son arrière grand-père Nicolas Lejeal était de la région de Corcieux, il s'était installé à Granges en 1703, en y épousant une Graingeaude, Barbe Noël, le 11 février de la même année. Ils eurent un fils, Nicolas également, marié aussi à Granges en 1730.
Claude a un frère, Joseph, avec qui il s'entend parfaitement.
Chez les Lejeal, chacun garde en mémoire la fin tragique de la petite Barbe Lejeal, née à Barbey-Seroux le 5 mars 1745, petite-fille du cousin du grand-père Nicolas, et dont les circonstances pénibles du décès sont pour toujours inscrites sur le registre paroissial de Granges :
« L'an mil sept cent soixante trois, le vingt septième de septembre sur les six heures du soir, Barbe Lejal, fille de Claude Lejal et Marie Madeleine Martin, a été enlevée par un loup en gardant du bétail à la distance de dix pieds de la métairie de la Cire au Soleil ( Seroux ) et a été dévorée cruellement incontinent après, âgée de huit ans et demy; après une recherche exacte on a trouvé quelques restes de son corps comme le coeur, le foyes, les boyaux, les roignons et quelques extrémités des doigts … »
Cet épisode tragique est traditionnellement répété dans la famille Lejal,on n'oublie pas un tel drame !
Les loups avaient pourtant fait l'objet de chasses depuis longtemps car ils dévoraient les bêtes des paysans et on n'en rencontrait plus beaucoup à la fin du 18 ème siècle bien qu'à l'époque de notre histoire, le premier quart du 19 ème siècle, on en tue encore dans le massif vosgien de temps à autre. Quant à celui qui dévora la petite Barbe Lejal, on ne peut pas attribuer son comportement à la famine car au mois de septembre on est encore loin des rigueurs de l'hiver ...